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« Le soja est à ma génération ce que le colza était à celle de mon père »

Conditions plus sèches qu'ailleurs dans le département, faire face aux aléas notamment économiques, problématique vulpin car trop de blé sur blé... : plusieurs raisons ont incité Benoît Vaillant à se lancer dans le soja.

Parce que là où il est installé, sur la commune de Cambrai, la pluviométrie est bien plus faible qu’ailleurs dans le département, Benoît Vaillant a introduit dans son assolement du soja. Il cherchait aussi une solution pour résoudre sa problématique vulpin. Les premières années n’ont pas toujours donné les résultats escomptés, toutefois la culture a résisté à la sécheresse de 2022. Des contraintes restent à lever telles que les dégâts de pigeons et l’absence de filière.

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« À chaque fois qu’il pleut, il pleut partout sauf ici. » Dans le triangle Péronne-Arras-Cambrai, il tombe moins de pluie que dans le reste de la région selon Benoît Vaillant. L’exploitation du jeune agriculteur, installé depuis le 1er janvier 2020 à Cambrai, se situe en plein dedans ! « Certaines années, il y a jusque 200 mm de différence avec la Thiérache par exemple à, à peine, 50 km, ou le Ternois à 60 km. » L’évapotranspiration y est aussi plus importante qu’ailleurs dans le département du Nord.

De 2018 à 2021, cinq printemps et étés secs se sont enchaînés. C’est pourquoi, un à deux ans après son retour sur la ferme familiale en tant que salarié en 2015, il a voulu intégrer dans son assolement des cultures résistant aux conditions sèches et supportant les gros coups de chaleur. Pourtant, les sols, sur des plateaux de limons battants, sont d’excellente qualité.

Dotés d’une bonne réserve hydrique, ils gardent quand même l’humidité, « même si de la poussière en sort 300 jours par an ». « Pour autant, il fallait pallier ce phénomène d’évapotranspiration avec des plantes un peu différentes de celles dont on avait l’habitude », explique le jeune homme de 33 ans. La betterave notamment : « si on n’en cultive pas là, on en fait nulle part ! », lance-t-il.

En vidéo : Benoît parle de ses motivations et premiers résultats, des ajustements réalisés, puis des contraintes de la culture, des débouchés...

https://dai.ly/x9jkj3k

Être plus résilient face aux aléas climatiques, économiques…

Très impliqué dans le réseau JA, il a eu l’occasion de découvrir de nombreuses régions françaises, leurs productions, et d’échanger avec les producteurs de ces territoires. « Dans le sud, ils ont de plus en plus de difficultés à produire du soja à cause des sécheresses à répétition. Sans réserve hydrique suffisante dans les sols, ils sont obligés d’irriguer. Au vu du changement climatique, j’ai pensé qu’il y avait sans doute une filière à créer dans les Hauts-de-France, à horizon 2030 à 2050. »

L’idée a continué de germer grâce à d’autres projets menés plus ou moins localement. Comme celui de la laiterie Sodiaal (une de ses usines se trouve à Cambrai) avec sa marque de lait responsable, sans OGM. « Ça m’a motivé à semer une légumineuse française qui en est exempte », appuie Benoît. « Le soja est la deuxième plante à produire le plus de protéines, après le colza, elle sans apport d’azote. » Il a donc effectué ses propres essais de soja, directement en plein champ.

D’autres raisons ont également poussé le jeune producteur à diversifier son assolement. « Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier » bien sûr, en cas d’aléa sur une culture, climatique, mais aussi économique, de marché… La betterave en est la parfaite illustration. Après l’arrêt des quotas en 2017, les prix se sont effondrés. « Clairement, nous n’avons pas gagné d’argent pendant plusieurs années », résume-t-il. D’où sa motivation à chercher une alternative même si la filière s’est redressée et s’il ne peut diminuer ses surfaces betteravières, étant lié par contrat à sa sucrerie.

« Des hauts et des bas »

Autre problématique à laquelle il était confronté, agronomique celle-là : de grosses quantités de vulpin dans les parcelles, car beaucoup de blé sur blé. « Il fallait casser la rotation avec une nouvelle production qui permette de changer de molécule de désherbage et de réaliser des faux semis avant son implantation », explique le jeune exploitant qui a réduit de 20 points le pourcentage de blé sur blé, grâce aussi au tournesol (cf. article en lien en fin de page), et limite par ailleurs le retour du colza sur une même parcelle une fois tous les six ans pour des problématiques de désherbage également.

C’est la cinquième année qu’il cultive du soja, avec « des hauts et des bas », d’où « l’intérêt de faire des essais », souligne-t-il. À la fin de la première, son père a tenté de le dissuader : « Faut arrêter de s’embêter avec ça ! » Le fils a répondu : « Le soja est à ma génération, ce que le colza était à la tienne. Il a cessé de remettre en question l’initiative. »

Le problème venait surtout des variétés, choisies seulement parce qu’elles étaient précoces alors que, justement, ce n’est pas le seul critère à prendre en compte. « Les rendements n’étaient pas terribles – 21 q en moyenne – avec une hauteur de première gousse très basse. Un grand nombre touchaient le sol, on a laissé pas mal de marchandise au champ, c’est un peu idiot ! » Si la précocité reste un paramètre essentiel, elle ne doit pas être trop importante.

Dans ses choix variétaux, le jeune producteur veille aussi maintenant à la productivité, donc à ce que la première gousse soit au moins à un niveau moyen, « histoire aussi de pouvoir récolter avec une batteuse standard équipée d’une coupe à céréales ». « En la positionnant correctement, je parviens à ramasser les gousses pas très hautes, indique-t-il. C’est là tout l’enjeu car ce sont les plus productives ! »

En 2022, les betteraves étaient des salades cuites,
le soja se portait à merveille !

En plus, il les a battues un mois trop tôt, fin septembre : des grains verts étaient encore présents et ont ramené un peu de pourriture. Alors, au fur et à mesure des campagnes, il s’est « armé de patience », a attendu le mois d’octobre que tous les grains soient bien mûrs – le soja se récolte en pleine période de semis des céréales d’hiver – et les résultats se sont améliorés. Être patient et faire attention à la hauteur où sont placés les premiers grains sur la tige : « en cela, le soja ressemble au colza », fait-il remarquer.

Pour un bon contact terre/graine, la préparation du sol doit être fine. (© Terre-net Média)

Les rendements ont atteint 36 q en 2023, à 14,7 % d’humidité en moyenne, grâce aux pluies du printemps et à la chaleur de l’été, et Benoît espère encore en gagner 2-3 en jouant sur les variétés. En 2024 par contre, le manque de soleil et les températures fraîches les ont fait redescendre à 27 q. Le chiffre d’affaires à l’hectare varie entre 1 000 et 1 200 € pour un coût de production de 790 €/ha (un peu plus d’un tiers, soit 300 €, pour les semences, 50 € pour les semis, 80 € de désherbage, un autre tiers – 240 € – en fumure, pas de fongicide et 120 € pour la récolte).

La marge brute s'élève à 260 €/ha et la charge de travail s'avère modérée (45 min/ha), un élément que le jeune agriculteur, ayant deux enfants en bas âge, a pris en compte dans son choix de diversification. « Je gagne 90 € par heure dédiée soit, en 2023, plus d’argent qu’avec du blé », résume Benoît. Ses pistes de réflexion pour les prochaines campagnes : diminuer la charge semences, essayer le non-labour et apporter 30 u d’azote pour « booster la levée ».

Par ailleurs, ce dernier semait au départ un rang sur deux, ce qui ne s’est pas avéré concluant non plus. « Semis tous les rangs maintenant, tous les 15 cm, comme un blé (d’ailleurs, il utilise le même semoir) ! Cela entraîne une couverture plus rapide et homogène du sol, et limite l’évapotranspiration, un point essentiel les années sèches. » De même que le salissement. « Et les pistes d’atterrissage pour les oiseaux », image-t-il.

Des ajustements ont également été nécessaires concernant la date de semis – après les saints de glace et, cette année, le 2 avril avec 20 jours d’avance à cause des conditions sèches – de même qu'au niveau de la densité. « Au lieu des 80 grains/m2 préconisés, je monte à 100 actuellement. » Un surcoût en semences permettant d’assurer un minimum de production face aux dégâts de ces ravageurs, estime-t-il. Il faut également préparer et rouler suffisamment le sol pour éviter la formation d’une croûte de battance.

« On apprend avec le temps, de ses échecs, reprend l’agriculteur. C’est grâce à cela que je travaille de cette manière désormais. » En 2022, en revanche, le soja a révélé ses atouts face au sec. « Quand les betteraves étaient en mode "salades cuites" comme on dit chez nous, il était en fleurs et se portait parfaitement bien parce qu’il avait réussi à puiser la fraîcheur et l’humidité plus profondément dans la terre. »

Une filière et des outils industriels à construire

Les attaques de pigeons à la levée, qui arrachent les cotylédons, d’où des pertes de pieds, sont en effet la principale contrainte accompagnée, les années sèches, des lièvres et corbeaux. Et les moyens de lutte sont plutôt restreints : les canons effaroucheurs sont peu efficaces, les tirs davantage, ce qui oblige à solliciter les chasseurs. Second inconvénient : l’inoculation, les terres françaises ne comportant pas les bactéries, présentes en Amérique, entrant en symbiose avec la légumineuse.

« J’ai essayé diverses choses pour mélanger l’inoculum à la semence : au départ la bétonnière, des malaxeurs à béton ensuite, puis des cellules de mélange d’aliment. Devoir "trifouiller" ainsi plusieurs fois les graines, les remettre en sac et après dans le semoir, est un gros point noir, chronophage en plus. »

Tous les ans, le jeune agriculteur analyse ses résultats et réajuste ses pratiques. (© Terre-net Média)

Côté débouchés, le soja est trituré en Belgique, la région n’ayant pas d’usine de trituration, celles dédiées au colza ne pouvant pas économiquement passer de si faibles volumes – la culture étant encore anecdotique dans les Hauts-de-France – sachant que la présence d’allergènes dans le soja impose un nettoyage drastique des installations. Le soja est ensuite vendu, sous forme de tourteaux, à un éleveur de volailles du coin.

Justement l’absence de filière et d’outil industriel est un frein au développement de cette production, ainsi que le manque de compétitivité par rapport aux Américains et Brésiliens entre autres (deux récoltes par an au Brésil, à 80 q/ha en moyenne, avec des variétés OGM tolérantes au Round-up, donc un coût de désherbage inférieur ; en France, il y a aussi le surcoût lié à l’inoculation comme expliqué plus haut).

« De belles opportunités existent. L’accompagnement de l’amont et l’aval est néanmoins indispensable. Malheureusement, je ne sens pas le même engouement pour le soja ou le tournesol que pour la pomme de terre », conclut Benoît Vaillant.

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